Blast

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Blast est une série de bande dessinée française de Manu Larcenet publiée depuis 2009 par Dargaud. Le premier tome a obtenu le prix des libraires de bandes dessinées 2010 et le second le Grand Prix RTL de la bande dessinée. Initialement prévue en cinq tomes, la série est finalement composée de quatre tomes.

Oeuvre maîtresse, coup de poing, coup de gueule, coup de sang. Avec Blast, l’auteur a mis de côté les histoires douces-amères et poétiques voire franchement rigolardes qui ont fait son succès. En mettant en images et en mots l’histoire de Polza Mancini, 38 ans, 150 kilos, sujet à des troubles psychiques, confus depuis la mort de son père, en rupture de bans volontaire, l’auteur s’est tourné vers la noirceur.

La sortie de Grasse carcasse (T.1 2009) a eu l’effet d’une bombe graphique et littéraire. Premier tome d’une tétralogie explosive relatant l’errance humaine et humaniste de Polza (de POmni Leninskie ZAvety, « souviens-toi des préceptes de Lénine ») tueur avéré et victime de son grand corps adipeux et défendant. 

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Blast fait l’« éloge de ceux qui ne marchent pas droit » et dissimule autant qu’il expose des manifestations nées de l’observation du monde : Blast est un artefact, le produit d’une exploration aiguë et amère de la conscience humaine. Le roman graphique aux relents de polar noir est le monologue d’un homme en garde à vue et unique suspect d’un crime odieux. Minutieusement, jusqu’à faire perdre patience aux policiers qui l’interrogent, l’accusé raconte son histoire, comment il dit avoir connu le « blast », cette onde de choc, « différence de pression entre l’avant et l’arrière du corps qui détruit de l’intérieur. Une transe qui peut être attribuée à la drogue, à l’alcool, à un choc émotionnel, qui fait qu’il sort de son corps, qu’il est au centre du monde », selon les mots de Manu Larcenet. Tandis que le mutique Polza parle enfin et raconte ce qu’il s’est passé dans les jours et les mois qui ont suivi la mort de son père, il relate comment il a cherché à revivre ce trip fondateur, moment de bonheur au cours duquel il s’est senti différent, léger, volatil.

Il explique comment, consciencieusement, il a cherché à remplir un corps plein de vide en éclusant bouteille sur bouteille au cours du meilleur été de sa vie. Un été chaud, lumineux à la Pagnol, éblouissant à la Camus. Une saison de liberté, de conscience accrue, décuplée par les éthers, en une sorte de « retour à la terre », à l’état de nature, une régression aux racines d’un être meurtri bien avant de devenir le meurtrier que soupçonne la police. Il dit l’errance dans la forêt, comment il mange des rats, se soûle toute la journée et cesse de se laver. D’un trait fort et avec une ironie manifeste, Manu Larcenet dépeint des limbes, une chute. Et dans cette descente, paradoxalement, illustre un « bad trip » ascensionnel.

Polza Mancini serait un monstre. Au sens propre, tout d’abord, avec ce corps obèse, démesuré. Au sens figuré ensuite, agresseur et meurtrier potentiel d’une jeune femme dont le lecteur (et les policiers qui l’interrogent) ne savent rien ou presque. Polza tente de convaincre ses interlocuteurs (les policiers comme les lecteurs) qu’il ne veut pas être plaint mais compris. Blast parle de la normalité, de la différence, du respect (de soi et des autres), du regard de la société sur les « marginaux ». La quête de Polza est un hymne à la punk attitude.

L’Apocalypse selon Saint Jacky (T.2 2011) est un entre-deux dans lequel Polza, forcé de s’abriter des rigueurs de l’hiver naissant, va « hiberner ». La rencontre avec Jacky, apôtre sombre et marchand de paradis artificiels, lui permettra toutefois de revivre le blast. Un blast de synthèse, volontaire et provoqué à son corps demandant : l’apocalypse promise par « Saint Jacky ». Etre à part, moitié ermite moitié dealer, Jacky achète des livres avec de l’argent illégalement gagné et lit compulsivement.

Blast n’est résolument pas une œuvre optimiste. Le Polza Mancini de Larcenet cristallise les peurs, les doutes, les incompréhensions nées de la différence. Polza a vécu dans la rue, il a croisé les laissés pour compte, il a refusé de continuer à vivre  normalement, sombré dans une folie dure, découvert des mondes interlopes, il a laissé la violence s’emparer de lui, il a cédé à sa part d’animalité. Il a fait souffrir comme il a souffert lui-même. Il n’a aucune excuse pour autant. 

Manu Larcenet concède que le troisième épisode est plus violent que les précédents. La Tête la première (T.3 2012) creuse jusqu’à l’étouffement les thèmes déjà abordés dans les précédents tomes :  la solitude, la quête identitaire, la recherche de la vérité, le rapport aux autres, le regard de la société sur la différence, la maladie, l’autodestruction, les facteurs aggravants et les circonstances atténuantes. La violence encore et toujours. Manu Larcenet n’explique rien. Il livre pas à pas les clés de la personnalité de Polza. Les flics commencent à se prendre d’empathie pour cette aberration qui leur fait face, leur tient tête. Jamais l’auteur ne juge son personnage, mais laisse au lecteur le choix face à cette violence crue.

Le quatrième et dernier volet de la série noire finit en apothéose, Pourvu que les bouddhistes se trompent (T.4 2014) scellant un récit d’une intensité rare qui entrera indubitablement dans la lignée des œuvres prodigieuses du 9e art. Polza a fini par se faire comprendre, plongeant une fois de plus le lecteur dans les affres de la torture psychologique. 

Dans ce dernier tome, point de longues balades silencieuses où seule la nature règne paisible, mais plutôt un huis-clos pesant où se déversent les paroles tourmentées de Carole Oudinot et son père Roland. Mots vénéneux qui embarqueront Polza Mancini dans un irrémédiable chaos.

Blast explore les parts d’ombres, les failles, le mal-être, la folie, la différence, la violence… et l’amour tout de même. L’auteur a puisé en lui et trempé sa plume dans une encre plus noire que le destin de son « héros ». 

Ses personnages évoluent dans un monde où les péchés sont cardinaux et les vertus invariablement soumises à la peine capitale. Manu larcenet a construit son roman graphique comme une fable moderne terrifiante, un conte pour adultes dont la morale ne s’offre pas facilement.