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Gramatik

Gramatik est sûrement l’un des meilleurs producteurs de musique du moment, pourtant, peu de gens savent vraiment qui il est. Peut-être parce que, de son enfance en Slovénie à son exil aux États-Unis, Denis Jašarević n’a pas emprunté le chemin conventionnel vers la gloire.

Son succès ? Fondé sur des faits, pas les bonnes étoiles. Portrait calculé au millimètre près. Le beatmaker slovène Gramatik, qui enchaîne EP et LP merveilleux depuis presque une décennie, vient de mettre toute sa discographie en téléchargement gratuit.

Gramatik rédige lui-même son propre scénario depuis l’âge de 14 ans. Avec un fil rouge : faire ce dont il a envie, que ce soit mixer différents genres de musique, projeter des formules mathématiques sur scène ou parler de Game of Thrones 30 secondes avant un concert.

En 2008, le monde du beatmaking découvrait Dream About Her, l’onirique premier EP d’un jeune producteur slovène sorti de nulle part. Huit ans plus tard, Gramatik s’écrit avec une majuscule et se prononce avec déférence, tant la richesse musicale du gus s’étale à chacun de ses albums.

D’autant que l’artiste, fervent avocat de la gratuité, expliquait déjà son modèle économique en 2014 via Reddit, et semble toujours s’en porter aussi bien. N’oubliez simplement pas de donner un peu en passant, histoire d’aider Gramatik à gérer son label Lowtemp et nous sortir d’autres compilations dans les années à venir.

La sonnerie retentit, l’école est finie. Deux garçons d’environ 12 ans marchent les mains dans les poches le long d’un trottoir de Portorož en se demandant ce qu’ils vont bien pouvoir faire. La petite ville limitrophe de la Croatie et de l’Italie offre peu de perspectives pour les jeunes adolescents. C’est ancien et pittoresque.

Un des garçons dit à l’autre : « Hé, tu sais quoi ? Mon frère a un logiciel sur son ordinateur avec lequel on peut faire de la musique. » Et tout à coup, une porte s’ouvre. En grand. Gramatik a commencé à faire de la musique électronique pour « passer le temps », mais la distraction est rapidement devenu son secret le mieux gardé. « On a commencé à s’amuser avec le programme Cubase quand le frère de mon ami n’était pas à la maison. S’il savait qu’on touchait à son ordinateur, il nous aurait foutu une raclée », raconte-t-il. Au départ, les deux garçons mixent les sons qu’ils connaissent le mieux : le hip hop. Ils commencent à écrire des rimes en slovène et à rapper sur leur propre musique. Une phase d’apprentissage tant la musique électronique de qualité ne court pas les rues à l’époque, et encore moins le rap slovène.

Denis vient d’une famille de classe ouvrière. Avant de se rendre compte qu’il voulait devenir un producteur, et avant qu’il décroche un vrai job, il devait patiemment supplier ses parents pour avoir un ordinateur. Devenir artiste indépendant ? Dream on. « Quand on vient d’un petit pays, il n’y a pas beaucoup de possibilités. Ça et ne pas venir d’une famille riche qui peut vous financer et vous soutenir », ce sont quelques-unes des épreuves à surmonter avant de crever le plafond et de goûter au succès.

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Plus Denis comprend sa passion pour la musique, plus il se rend compte que la Slovénie n’est pas l’endroit où il faut être. En 2011, à l’âge de 27 ans, Denis déménage donc au pays des rêves : les États-Unis. « Aux États-Unis, les possibilités sont infinies, précise-t-il. C’est pour ça qu’on parle de rêve américain. Vous avez entendu parler du rêve européen ? Non. »

Cependant, Denis n’oublie pas d’où il vient. Chaque année, l’artiste se rend en Slovénie pour jouer en live. Lorsque sa musique a fait son entrée dans les charts, les Slovènes étaient étonnés d’apprendre qu’un de leurs compatriotes avait percé aux States. Mais Internet n’a pas de limite, et sa musique diffusée gratuitement est une rampe vers le succès à l’international. « Ça a inspiré énormément de gens. Il y a beaucoup de nouveaux producteurs en Slovénie qui font des choses vraiment sympas, y compris des jeunes de 16 – 17 ans. » L’artiste les prend sous son aile et produit certains de leurs morceaux sur son label Lowtemp Music.

Sans même une pointe d’arrogance, Denis explique à quel point c’est encourageant de voir de tels progrès dans son pays, surtout après les guerres de Yougoslavie. « À un moment donné, il y avait très peu d’espoir pour ma région. Nous étions une jeune démocratie, la Slovénie a seulement 20 ans environ. » Même s’il n’est pas totalement d’accord avec les changements politiques qui ont eu lieu ces dernières années dans son pays d’origine, il a de l’espoir pour les jeunes. « C’est juste une succession de hauts et de bas, comme ce qu’il se passe aux États-Unis pour le moment. Je pense qu’il est important d’encourager les jeunes à penser au-delà des frontières de leur petit pays. »

Le temps s’arrête. Nina dépose sa main sur l’épaule de Denis pour l’informer qu’il lui reste seulement une heure avant le concert. « J’ai juste besoin de 20 minutes pour me préparer » rétorque-t-il. Mais il va falloir conclure, d’une manière ou d’une autre. « Je dis toujours que si je ne vivais pas pour la musique, le cinéma et l’art en général, je mettrais fin à mes jours », lâche-t-il comme un pavé dans la mare. De bien des façons, la musique et la science sont ce qui le gardent sain d’esprit. Mais, il faut reconnaître qu’avoir un esprit rationnel n’est pas toujours aussi simple. « Je souhaite presque être plus ignorant car l’ignorance est une joie. Je voudrais être imbécile parfois… C’est plus rassurant. » Mais moins utile quand il s’agit de donner une opinion sur les séries du moment.